Renaître au souffle de l’Esprit

Marcel Caron, ispx (Président de la CCIS)
Octobre 2021

Entete

Pour une théologie de la vie consacrée séculière…

« Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle,
car le premier ciel et la première terre ont disparu. »
Ap 21, 1

Il y a 75 ans, les Instituts séculiers étaient reconnus officiellement dans l’Église. Nés dans un contexte de crises et d’espérances, ces groupes d’hommes et de femmes ont surgi comme une réponse au souffle de l’Esprit. Des quatre coins du monde, ces groupes appelaient une nouvelle réponse pour des temps nouveaux.

Aujourd’hui, les instituts séculiers sont appelés à vivre encore un renouveau. La situation ecclésiale et sociale qui les a vus naître n’est plus la même. Le monde a changé; plus encore, il continue de changer à vive allure. C’est une adaptation constante qui est le leitmotiv et l’exigence même des instituts séculiers afin de s’ajuster aux réalités nouvelles qui se présentent à eux.

En s’appuyant sur les piliers du baptême, de la consécration séculière par les conseils évangéliques, d’une nouvelle Église à accueillir et de la sécularité, une théologie de la vie consacrée séculière peut être présentée à l’Église d’aujourd’hui. Que ces quelques lignes puissent apporter des pistes pour un renouveau de notre vocation particulière au cœur du monde.

Repartir du baptême

Toute vocation en Église trouve son fondement dans le baptême. L’amour de Dieu pour toute personne s’exprime dans l’Église par cet « acte fondateur » qui vient affirmer le caractère personnel du choix de Dieu. Comme la proclamation divine lorsque Jésus est sorti de l’eau du Jourdain, cette certitude  retentit pour chacun et chacune: « Tu es mon fils (ma fille) bien-aimé-e, il m’a plu de te choisir » (Mc 1, 11); ces mots viennent laisser la marque indélébile dans l’être de tout chrétien. Car toute personne est appelée à devenir « un autre Christ ».

Cet appel est plus que des mots; trop souvent en Église, les baptisés l’ont oublié. Pourtant c’est Jésus lui-même qui le rappelle : « Le disciple n’est pas au-dessus de son maître, mais tout disciple bien formé sera comme son maître » (Luc 6, 40) car « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais; il en fera même de plus grandes, parce que je vais au Père » (Jean 12, 40). Devenir « un autre Christ » n’est pas prendre la place du Messie; il y a un seul Seigneur, un seul Dieu. Mais, c’est s’engager à ce que notre vie devienne une proclamation fière et forte de l’amour de Dieu pour toute l’humanité.

Sans doute, par le témoignage vivant de notre foi et notre vie livrée, les hommes et les femmes d’aujourd’hui pourront lire la belle histoire d’amour et d’alliance de Dieu avec son peuple. La vie des membres d’instituts séculiers deviendra une Parole de Dieu capable de livrer son message avec des tonalités modernes et des accents nouveaux. C’est par la foi révélée dans et par notre existence que Dieu viendra parler aux hommes et aux femmes pour leur dire qu’ils sont aimés d’un amour personnel et inconditionnel.

Mais cet amour est vécu en relation. Plus qu’une idée à transmettre, un contenu doctrinal à apprendre, vivre le baptême nous fait entrer dans l’expérience de l’amour divin qui est relationnel : avec Dieu Amour, avec la création (monde), avec nos frères et sœurs en humanité. Découvrir la richesse de chacun de ces aspects sera l’histoire de toute notre vie qui se déploiera dans le temps, dans chaque événement, à travers toute personne qui croisera notre quotidien.

Cette vie baptismale prend toute la personne; elle touche tous les aspects de sa vie. Plus encore, c’est par le baptême qu’on devient chrétien. Cet « être chrétien » nous fait devenir fils et fille de Dieu, rien de moins! Donc, nous voilà appelés à la radicalité de vivre toute notre vie sous le regard de Dieu et avec la vision de Dieu pour le monde. En devenant un « autre Christ », le baptisé consacré séculier est appelé à faire advenir le Royaume ici et maintenant. Il devient en quelque sorte cette image visible de la présence divine au cœur de la création.

Ayant accueilli dans tout son être la vie divine, le chrétien entre dans cette pleine communion avec Dieu. Toute sa vie devient donc une invitation à la communion. Faire communion devient donc le fil d’or de toute son existence : ayant connu la communion avec le Père par l’amour rédempteur du Fils, le baptisé est guidé par l’Esprit à un renouveau qui transformera toutes ses relations avec toute personne et toute la création. Cette communion est la condition d’un monde nouveau qui surgira par l’avènement de l’homme nouveau! Osons donc repartir du baptême!

« La gloire de Dieu, c’est l’homme debout! »

Un membre d’institut séculier est appelé à être ce modèle de l’homme nouveau. Son engagement par les conseils évangéliques de pauvreté, chasteté et obéissance fait de lui une interpellation vivante pour ses frères et sœurs en humanité.

Notre pauvreté « dit au monde que l’on peut vivre au milieu des biens temporels et que l’on peut se servir des moyens mis à notre disposition par la civilisation et le progrès sans en devenir esclave ». Notre chasteté « dit au monde que l’on peut aimer d’un amour désintéressé et inépuisable qui vient du cœur de Dieu, et que l’on peut se consacrer joyeusement à tous (…) en ayant surtout le souci des plus délaissés ». Notre obéissance « dit au monde que l’on peut être heureux sans pour autant s’installer dans les choix confortables que l’on aura faits soi-même, mais en restant pleinement disponibles à la volonté de Dieu telle qu’elle nous est manifestée dans la vie de tous les jours, par les signes des temps et par ce qui est exigé pour le salut du monde d’aujourd’hui » .

Si dans l’ordre de présentation des conseils évangéliques, l’Église présente habituellement la chasteté, la pauvreté et l’obéissance, la mission apostolique des membres des instituts séculiers suggérerait un ordre plus naturel. Comme le petit et le démuni ont tout particulièrement droit à notre engagement, l’option préférentielle pour les pauvres doit s’exprimer même dans l’expression de notre engagement.
L’engagement à la pauvreté nous invite à vivre une solidarité plus vraie et effective avec toute situation de précarité. Partout dans le monde, nous retrouvons ces situations où la carence d’aliments, de logement, d’éducation, d’emploi, d’accès aux soins, de libertés de base clament vers Dieu la souffrance et le désarroi de millions d’hommes et de femmes, d’enfants, de jeunes et de personnes âgées. Même dans les pays les plus développés, les injustices criantes manifestent les lacunes des meilleurs systèmes de sécurité sociale.
La pauvreté, pour le membre d’institut séculier, est donc fort exigeante. En s’exprimant d’abord par l’accueil, l’hospitalité et le partage, l’appel de la justice et de la solidarité résonnent de plus en plus au cœur d’un monde individualiste et replié sur lui-même. L’appel à la communion fera que la solidarité devienne un mode de vie incontournable pour exprimer le vécu de la pauvreté.

Cette communion vécue dans la solidarité invite la personne consacrée séculière à s’ouvrir à toute personne et à l’aimer avec le cœur de Dieu. Dans l’engagement à la chasteté, nous sommes donc appelés à « se faire tout à tous » et « à aimer jusqu’à l’extrême » à l’exemple du Maître Jésus. Plus qu’une question de continence ou de sublimation, la chasteté devient donc une école de véritable communion avec l’autre.

C’est dans la quête de la signification de l’autre comme fils et fille de Dieu que l’engagement à la chasteté peut trouver un nouveau sens. Image de Dieu, le reflet que l’autre peut lire dans les yeux du cœur devient un appel incessant à se donner librement; alors la communion permet à l’autre de reconnaître sa dignité puisque toute personne est enfant de Dieu, aimé d’un amour personnel, éternel et inconditionnel.

Cet amour appelle à une adhésion pleine et entière qui devient relation de communion. « Que tous soient un » (Jean 17, 21) est le projet de Dieu pour tous ses enfants. La solidarité exprimée dans le vécu de la pauvreté devient un tremplin pour une communion d’amour qui unifie toute personne et qui unit toute l’humanité.

Comment y arriver vraiment, pleinement? L’engagement à l’obéissance tient une clé de réponse. Dans le discernement, toute personne baptisée – et encore plus toute personne consacrée – est en quête d’une réponse : quelle est la volonté de Dieu? Dans l’écoute de la Parole, tous entendront l’appel à la vie, à l’amour, au bonheur. Cette même volonté divine se vérifiera dans les événements et par les personnes qui croiseront notre quotidien. Dans un monde qui n’est pas toujours ouvert à la grâce divine, le grand défi sera de trouver les germes de vérité et de vie au milieu des signes de mort et d’obscurité. Ce sera le défi du discernement vécu au jour le jour.

Car l’obéissance appelle au don total. Le Christ est allé jusqu’au bout dans l’amour pour Dieu et les hommes, en donnant sa vie sur la croix; l’obéissance nous invitera à croire au Dieu fidèle qui nous attend dans ce don total de notre vie. Sa fidélité nous ouvre à la grâce de liberté pour donner un « oui » qui changera toute notre vie. Car dans la communion avec Dieu nous pourrons alors accomplir pleinement sa volonté.

Cet homme nouveau, cette femme nouvelle que nous sommes appelés à devenir, c’est le désir du Père. « Soyez saints, car je suis saint, moi le Seigneur votre Dieu » rappelle le Lévitique (19, 2). L’engagement des conseils évangéliques nous fait avancer un pas à la fois sur ce chemin de sainteté. C’est à cela que nous sommes tous et toutes appelés… car « la gloire de Dieu, c’est l’homme debout! » comme le rappelait saint Ignace d’Antioche.

Osons marcher ensemble vers une nouvelle Église!

 Mais cette aspiration ne se vit pas seule! Au long des siècles, la vision d’Église proposée aux croyants a connu bien des bouleversements. D’une Église persécutée à une Église dominante et triomphante, voilà que nous sommes appelés à un aggiornamento. Le Concile Vatican II a présenté l’Église peuple de Dieu, l’Église communion. Mais de la parole aux actes, il y a encore tout un chemin à parcourir. Après plus de 50 ans, il n’est pas certain que nous y sommes tout à fait!

Malgré les obstacles de parcours, depuis l’origine des instituts séculiers, les consacrés séculiers ont été sur les premières lignes pour présenter une nouvelle image d’Église. Par leur engagement de proximité, d’accompagnement véritable au cœur du quotidien, ils sont le visage d’Église qui est sorti des sacristies et des chapelles pour vivre la communion du coude-à-coude. Et le témoignage devient alors la Parole proclamée qui peut ouvrir à la découverte de la présence réelle du Christ qui vit avec son peuple.

Ce « marcher ensemble » que propose l’Église dans une quête de synodalité nouvelle est une réalité qui existe au sein des instituts séculiers depuis longtemps. Étant précurseurs de ce « marcher ensemble », l’expérience des membres d’instituts séculiers pourrait être porteuse d’un puissant dynamisme pour renouveler l’Église. Au cœur des réalités humaines, en continuant d’être le « laboratoire d’expériences » et « l’aile avancée de l’Église », nous bâtissons la cité nouvelle!

« Marcher ensemble » ne signifie pas que le point d’arrivée est connu. Au contraire! Dans cette nouvelle communion de pèlerins, nous serons appelés à nous connaître et à nous évangéliser, en découvrant les traces de l’Évangile qui sont déjà présentes dans l’un comme dans l’autre. Ce sera la surprise de l’Esprit qui fera découvrir les signes de la présence de Dieu là où on ne l’attendait pas.

La synodalité – si nous vivons jusqu’au bout l’appel de Dieu – pourrait radicalement transformer nos façons de faire et d’être en Église. Elle pourrait être l’occasion d’une nouvelle Pentecôte où l’accueil de l’autre nous révélera le mouvement créateur de Dieu encore à l’œuvre dans notre monde. Les exclamations de Jérusalem il y a 2000 ans, « Nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu » (Ac 2, 11), pourraient devenir nos propres mots en écoutant les hommes et les femmes en périphérie nous révéler l’action de Dieu dans leurs vies! Et comme Pierre chez Corneille, nous verrons l’Esprit qui se déverse en abondance.

Comme membres d’instituts séculiers, osons marcher ensemble avec nos frères et sœurs en humanité pour bâtir un monde nouveau, pour construire une Église nouvelle. La nouveauté ne sera pas dévoilée comme une grande surprise à la fin du processus; elle s’instaurera dans nos façons de faire et d’être « chemin faisant ». Cela exigera adaptation, liberté, audace et vérité… Mais le Dieu des surprises sera encore et toujours au rendez-vous, car il continue de créer ce monde!

La sécularité, chemin de sanctification

« Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon » (Genèse 1, 31). La présence au cœur du monde est un élément fondateur de la vocation consacrée séculière. C’est en s’insérant encore davantage dans ce monde comme lieu de rencontre de Dieu – puisque Dieu se révèle dans chaque élément de sa création – que nous pourrons « fleurir là où nous sommes plantés ». Car l’accomplissement de notre vocation est justement de rendre gloire à Dieu par toute notre vie, dans tout notre être, en reconnaissant le merveilleux déploiement de sa grâce dans tout le créé.

Dans cette liberté des enfants de Dieu – celle qu’attend toute la création – voilà que nous sommes invités à être inventifs et créatifs pour trouver un nouveau langage pour parler au monde qui est en perpétuel changement. « Tout renouveler dans le Christ » devient une mode prophétique de vivre, car cela exige une adaptation constante pour répondre aux nouveautés qui nous entourent. Impossible de répondre avec les mêmes mots, les mêmes gestes et les mêmes attitudes qui ont vu naître les instituts séculiers il y a déjà plusieurs décennies. Notre monde s’est transformé… et le vécu de notre sécularité aussi!

Cette adaptation séculière exigera aussi une liberté en Église pour vivre notre don avec cette innovation propre à chaque personne, chaque culture, chaque histoire et expériences personnelles. Les concepts de la consécration et de la mission seront profondément marqués par le contexte dans lequel celles-ci se vivront. Impossible donc d’avoir une règle commune qui régit toutes les situations; et pourtant la communauté de vie qui se forme par la mission et la spiritualité doit à la fois marquer un cadre qui permet de se reconnaître dans un même mouvement spirituel.

Cette identité séculière ouvre le chemin de la mission. La mission s’élaborera dans l’écoute des besoins du monde, par l’accompagnement de toute personne – surtout les petits et les pauvres – , par l’engagement concret pour un monde plus juste, plus solidaire, plus fraternel. Chaque parole, chaque geste et attitude serviront à pénétrer les réalités temporelles de l’esprit évangélique. Et ainsi les portes s’ouvriront pour découvrir un monde plus humain!

Car le désir de Dieu est bel et bien celui-là : que toute la création soit sanctifiée et transformée. Dans l’incarnation, Jésus est venu racheter toute l’humanité, toute la création. Par notre « incarnation » et notre présence au cœur du monde, nous devenons les hommes et les femmes qui, à l’image du Christ, travaillent à transformer le monde du dedans pour qu’il soit sanctifié, mené à la « pleine stature du Christ ». Cette sanctification du monde et de chaque personne nous est déjà promise par le Royaume qui est au milieu de nous; à chacun de la mener à terme avec la grâce baptismale déjà présente dans notre cœur!

Pour une réponse libre, devenons ce que nous devons être

Après 75 ans de reconnaissance de la vocation consacrée séculière, où en sommes-nous? Quels changements doivent s’opérer pour continuer d’avoir une présence incisive au cœur du monde et de l’Église? Quels défis sont les nôtres pour interpeler le monde d’aujourd’hui?

Une vocation n’est pas une formule mathématique… La réponse s’ajuste à chaque moment selon la grâce de liberté qui nous mène à répondre à un appel précis de Dieu dans la vie de toute personne. En reprenant ces quatre piliers du baptême, de la consécration séculière par les conseils évangéliques, d’une nouvelle Église à accueillir et de la sécularité, chacun et chacune doit trouver une voie pour une réponse libre.

Robert Lebel, un auteur-compositeur canadien, membre d’un institut séculier, le dit bien dans une de ses chansons :
« Soyons ce que nous devons être
Et nous verrons paraître
Des germes d’avenir!
Soyons ce que nous devons être
Et nous pourrons renaître
Au souffle de l’Esprit! »


Paul VI, aux responsables des instituts séculiers le 20 septembre 1972 dans Les Instituts séculiers dans le magistère de l’Église, CMIS, Rome, 1981, p. 93.

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