Embrasse le Christ... jusqu'à l'extrême!
Marcel Caron, ispx
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"Avant la fête de la Pâque, Jésus sachant que son heure était venue, l'heure de passer de ce monde à son Père, lui, qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, les aima jusqu'à l'extrême" (Jean 13, 1) Chaque fois que je lis ces mots de l'évangile de Jean, je suis bouleversé. Bien avant que les disciples aient fait les préparatifs pour la dernière cène, l'évangéliste a mis la table pour nous faire entrer dans le plus grand mystère d'amour.
Ces mots du disciple bien-aimé sont porteurs de sens pour nous membres d'un institut séculier car cet amour extrême est adressé d'abord "aux siens qui sont dans le monde". Plus de 2000 ans après ce dernier repas, nous sommes aujourd'hui ses disciples-missionnaires au cœur du monde... et il nous aime jusqu'à l'extrême en nous lavant les pieds, en mourant, en ressuscitant!
Il les aima jusqu'à l'extrême... en prenant un bassin d'eau
On peut facilement s'imaginer l'émotion de Jésus de voir ses disciples rassemblés autour de lui. Il enlève son vêtement, se ceint d'un linge, prend un bassin d'eau et se met à laver les pieds de chacun de ses disciples. Dans un silence de contemplation, agenouillé à leurs pieds, Jésus prend le temps de regarder chacun des siens. Il leur lave les pieds pour les préparer à la grande mission d'aller "aux croisées des chemins" afin d'inviter à la noce tous ceux qu'ils trouveront (cf. Matthieu 22, 9). Quelle émotion ressent-il pour André, Jacques et Jean, les premiers rencontrés sur le bord du lac. Quelle tendresse plus particulière avec Judas, sachant que ce soir son cœur est torturé et, bientôt, il partira... Et Pierre - pauvre Pierre! - qui en demande toujours plus et qui pourtant a déjà tant reçu!
Il y a 2000 ans, Jésus lavait les pieds de Philippe, Barthélémy et Jude. Mais il lavait aussi ceux de Sylvain, Marc-André, Raymonde et Huguette. Jésus lavait tes pieds pour te préparer à la grande mission qui est la tienne. Comme il l'a dit au Cénacle, "Comprenez-vous ce que j'ai fait pour vous? (...) Vous devez vous laver les pieds les uns aux autres; car c'est un exemple que je vous ai donné: ce que j'ai fait pour vous, faites-le vous aussi" (Jn 13, 12.14-15). C'est l'appel à la mission de solidarité, un appel encore plus urgent surtout en ces temps de pandémie.
Cette année, ce geste si émouvant de laver et embrasser les pieds d'hommes et de femmes me manquera énormément... C'est probablement un des gestes les plus signifiants dans ma vie de prêtre à chaque année. Mais, pandémie oblige, nous voilà tous obligés de vivre notre service et notre solidarité de façon plus concrète. Se faire proche se réalise chaque jour en appelant une personne que nous savons seule et isolée. Tendre la main devient davantage une commission que nous acceptons de faire pour une personne âgée. Devenir écoute permet de soutenir des hommes et des femmes qui vivent une angoisse, une inquiétude, une peur. Et le miracle se révèle quand ces gestes ne seront pas limités au jeudi saint; toute journée nous est donnée comme une grâce de jeudi saint à renouveler au quotidien... même dans le post-covid-19!
Il les aima jusqu'à l'extrême... dans le don total de sa vie.
Qui n'a pas été ému par la beauté du crucifix de la basilique San Marcello sur la Place Saint Pierre le 27 mars dernier? Cette croix, simple mais belle, datant du XVe siècle et ayant survécu à un incendie, nous invitait au recueillement. Comme la croix sur le Golgotha il y a 2000 ans, ce crucifix appelait au grand silence...
Les gouttes de pluie coulaient sur le corpus du crucifix à Rome... Mais à Jérusalem, c'était son sang que Jésus versait pour l'humanité. "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime" (Jean 15, 13). Ces mots, devenus réalité par son don sur la croix, résonnent encore sur le monde.
Comme membres d'instituts séculiers, nous les avons entendus comme un véritable appel pour aller jusqu'au bout, jusqu'à l'extrême dans notre amour. Comme le Maître, nous avons accepté d'avance la part de la croix comme notre participation au grand témoignage d'amour. Nous sommes là, au cœur du monde, comme des témoins que la mort n'aura pas le dernier mot, car l'espérance vit encore!
Dans une lettre aux Clarisses d'Assise le 25 mars dernier, le cardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégation des évêques, évoque le souvenir de Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix (Edith Stein). Cette femme a accepté de participer à la croix de ses frères et sœurs. Elle écrivait ces mots le 14 septembre 1939: "Entends-tu les gémissements des blessés sur les champs de bataille? Entends-tu les râles d'agonie des mourants? La plainte, la soif et la douleur des humains remuent-ils tes entrailles? Désires-tu être près d'eux, les aider, les consoler et soigner leurs plaies les plus profondes? Embrasse le Christ. Si tu lui es unie nuptialement, son sang coulera dans tes veines, son sang qui guérit, rachète, sanctifie et sauve. Unie à lui, tu seras présente dans tous les lieux de douleur et d'espérance."
Ces mots ne peuvent nous laisser indifférents... Embrassons le Christ! Notre oui aux petits et aux pauvres, notre oui à la mission, notre oui à l'Évangile nous convoque à un don de plus en plus total à chaque jour, jusqu'à l'extrême. Et alors la croix deviendra source de vie!
Il les aima jusqu'à l'extrême... par une promesse de vie.
Au matin de Pâques, c'est une femme, Marie Madeleine, qui "se rend au tombeau de grand matin. C'était encore les ténèbres" (Jean 20, 1). Dans la vie des nôtres, souvent, on ne voit que les ténèbres de la désespérance et du désarroi alors que la lumière est déjà là présente.
Cette femme - comme nous - cherche Celui que son cœur aime... mais il n'est pas là. Désemparée, elle accourt vers les disciples pour leur raconter sa découverte. Ils se mettent à courir vers le tombeau. Sauront-ils voir ce qu'elle ne voit pas? Sauront-ils faire la rencontre tant attendue? Revenant bredouilles à la maison sans croire ces "histoires de femme", ils s'enferment au cénacle.
Mais, Marie Madeleine est la femme de l'espérance têtue. Elle reste près du tombeau. Même en pleurs, elle attend, car elle croit. Et soudain, une rencontre change tout. "Femme, pourquoi pleures-tu? Qui cherches-tu?" (Jean 20, 15). En écoutant son nom, elle s'élance pour l'embrasser, comme pour ne plus jamais perdre l'amour de sa vie...
Mais Jésus l'invite à ne pas en rester à une réaction intimiste. Il l'envoie plutôt vers les disciples pour leur annoncer la bonne nouvelle de la résurrection. Elle devient l'apôtre des apôtres pour proclamer la victoire de la vie sur la mort.
En ces temps difficiles, où plusieurs ont la tentation de s'enfermer, de se refermer, nous sommes appelés à aimer jusqu'à l'extrême car nous sommes porteurs, porteuses comme Marie Madeleine, d'une promesse de vie. Hommes et femmes de foi, d'espérance et de charité, nous sommes responsables d'annoncer cet évangile de la vie à toute personne, par 100,000 moyens!
Ayant rencontré le Christ ressuscité, osons le proclamer comme Celui qui fait toute chose nouvelle! Il est ressuscité! Sa résurrection est le gage et la promesse de vie nouvelle pour tous les hommes et femmes de la terre! À chacun de nous, membres d'instituts séculiers, d'annoncer cette Bonne Nouvelle!
Laisse-toi embrasser par le Christ!
Nous le chantons lors de la veillée pascale: "O nuit de vrai bonheur: toi seule pus connaître cette heure où le Christ a surgi des enfers. C'est de toi qu'il fut écrit: La nuit resplendira comme le jour; la nuit même est lumière pour ma joie." Ces mots résonnent pour nous comme un refrain.
Au cœur d'un monde éteint, malgré le printemps qui brille de tous ses feux, nous sommes appelés à être ces veilleurs, ces veilleuses qui chantent de joie en voyant poindre les premières lueurs du jour. Que notre espérance soit fortifiée de jour en jour en se laissant embrasser par le Christ. Il nous chuchotera tout doucement à l'oreille, au cœur: "Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu'ils doivent se rendre en Galilée: c'est là qu'ils me verront" (Matthieu 28, 10).
Mettons nous en marche vers la Galilée de notre monde. Il est là, il nous attend! Et ainsi, ce sera Pâques fleuries à chaque jour!